Shilin, la forêt au coeur de pierre

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Texte écrit avec l’aimable aide d’Anthony Menjoz.

C’était l’été 2012, voilà un an déjà que je vivais à Shanghai. La visite de mes parents sonnait pour moi l’heure de mon retour à Paris. Avant de me récupérer pour de bon, notre petite famille allait profiter de ces quelques jours pour faire une virée à travers le pays, et notamment dans le Yunnan.

Le Yunnan c’est cette région essentiellement montagneuse du Sud-Ouest de la Chine. Singulière par son climat doux et tempéré quelque soit la période de l’année, elle offre également une grande diversité de paysages et abrite un nombre important d’ethnies.
Après une brève visite à un membre de notre famille qui habite Kunming, la capitale de la province, nous filons vers le parc national de Shilin, à 85km au Sud-Est. Ce parc abrite la “Forêt de pierre”, l’un des principaux sites touristiques de la région. Ce lieu regorge de pitons rocheux de type karstique, c’est à dire qu’ils ont été formés durant des millions d’années par l’action érosive de l’eau sur la couche rocheuse carbonatée. Sur place, des étalages racoleurs aux couleurs criardes où sont exposées d’innombrables babioles, couvre-chefs et étoffes. Ils sont comme autant de clin d’oeil à la culture des Sani, l’ethnie tibeto-birmane qui occupe la région. Dès notre arrivée sur les lieux, nous sommes accueillis par une quinzaine de Sani en apparat traditionnel. Consciencieusement ordonnés en deux rangées se faisant face, hommes et femmes, musique et chant, pas et danse dialoguent au gré des spasmes d’une chorégraphie où virevolte et s’entremêle le bleu léger des costumes aux motifs géométriques structurant leur tenue. Le spectacle est hypnotisant.
L’esprit ainsi conditionné, nous nous engouffrons alors tous les quatre parmi les ombres, dans le labyrinthe de cette forêt pétrifiée. Assez vite, guidées par l’instinct dans notre progression, ma soeur et moi réalisons que nous avons largement distancé nos parents.

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Soudain un bruit dans mon sac se fait entendre, c’est mon autre soeur restée elle à Paris qui appelle. Cet événement sonne comme pour me rappeler que lorsque nous voyageons en famille nous réduisons généralement le nombre de téléphone à un. À l’heure du “tout connecté” nous ne pouvons compter sur la technologie pour reconstituer le groupe… Je ne saurais trop dire pourquoi nous poursuivons cependant notre exploration, à croire que chacun de nous recèle une once d’ingratitude !

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Quel beau spectacle que ces rochers à l’allure solennelle, tous différents. Certains évoquent des animaux. Se trouver là entourée de ces gigantesques monolithes donne immédiatement davantage de substance aux récits qui entourent la forêt de leurs légendes.
Au détour d’un bloc rocheux on découvre un petit lac, ou bien une table en pierre, aménagée dans un recoin. Il y a un aspect mystique présent à chacun de nos pas qui me plaît beaucoup. Seulement je trouve l’endroit un peu trop aménagé et pas assez sauvage. La beauté des lieux avait tout de même réussi à nous détourner tout à fait de notre quête et avait relégué l’idée de retrouver les parents au rang d’une vague préoccupation dans un coin de notre tête. Nous avions marché, escaladé, pris le temps d’apprécier l’ensemble du panorama qu’offrait le site ; il nous fallait désormais et de manière impérative retrouver la trace de nos géniteurs dans ce méandre minéral. Nous commençons donc à interpeller, en chinois, les visiteurs que nous croisons en leur demandant s’ils ont aperçu un chinois et une russe. Il faut dire que ma mère, bien que d’origine franco-viêtnamienne, passe ici pour une russe avec sa crinière blonde aux nuances caramel.

Quoi qu’il en soit, les chinois en visite ne nous furent pas d’une grande aide. Pire, il était même très probable que nous divergions davantage de nos chers parents à mesure que, malgré notre désarroi apparent, l’effort de diplomatie étrangère dont nous faisions preuve se heurtait chez eux à une sorte de méfiance ou de réticence. Ce petit manège dura une heure.
Et puis, à l’angle d’un rocher, je crois entendre mon père, au loin, comme dans un écho. Je hurle alors quelque chose. Il me répond. S’installe alors une sorte de dialogue d’aveugle. Nous sommes très proches à présent mais ne pouvons nous trouver des yeux l’un l’autre dans ce dédale. Nos cris sont jugés insupportables par de nombreux oiseaux qui s’envolent alentour. Tout d’un coup je me retourne. En un flash mon père m’apparait! Il est à une cinquantaine de mètres. Le soulagement que nous éprouvâmes alors n’eût pour autre effet que d’amplifier l’éclat de nos voix. C’était certain, le vacarme s’entendait maintenant à des centaines de mètres à la ronde. Conscientes, un peu effrayées même, par la tournure grotesque que prenait ce spectacle que nous avions pourtant initiées, ma soeur et moi cessâmes de crier et nous fixâmes un instant. Mon père, lui, bras déployés, vociférait de plus belle. Dans ses yeux on pouvait deviner une sorte d’aliénation, semblable à celle qui vous affecte lorsque vous tombez nez-à-nez avec celui ou celle dont vous auriez déjà fait le deuil. Je jette un autre regard à ma soeur, et, sans même nous parler, nous courons les quelques mètres qui nous séparaient encore pour le rejoindre. Nous quatre à nouveau réunis, la sérénité pouvait reprendre ses droits sur la forêt de Shilin.

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