Texte écrit avec l’aimable aide d’Anthony Menjoz.
Il est midi. Derrière nous s’éloigne la dernière ligne de bus grâce à laquelle nous venions de quitter le centre de Toronto. Mon ami Louis-Philippe et moi-même avions à présent rejoint l’autoroute et la pluie s’était invitée.
C’est en général une bonne chose pour un auto-stoppeur, la pluie. Elle aide à la pitié des conducteurs de nous voir ainsi au bord des routes, détrempés jusqu’à l’os. Pour autant le gage de chance n’est pas systématique ; parfois on ne ralentit même pas, ou bien le trajet que l’on nous propose est si court que la probabilité de nous voir largués au beau milieu de nulle part fait que, par prudence, nous déclinons la proposition.
Aujourd’hui c’est après une bonne demi-heure de sourires et de clins d’oeil échangés avec ceux que nous croisons que finit par nous sourire, en retour, la chance.
Une jeune femme d’une trentaine d’années s’arrête. Elle porte une blouse blanche. Étrangement je remarque que des larmes sillonnent le long de son visage. Malgré cela elle se propose avec une forme d’enthousiasme de nous emmener sur la route. Louis-Philippe monte aux côtés de notre mystérieuse hôte tandis que je tente de trouver une place au milieu du bric à brac qui s’étale sur toute la banquette arrière.
Nous tentons alors d’amorcer une sorte de discussion. Vous savez, ce genre de dialogue un peu creux dont les origines se situent quelque part entre la gêne et la politesse. La jeune femme nous confie qu’elle revient de l’hôpital et que cela fait déjà maintenant un bon moment qu’elle roule… Pas plus ! Ses larmes qui ne cessent de s’épancher quelque part me tracassent ; pour autant je n’ose pas poser de question.
Le reste du trajet se déroule sans bruit. L’impression latente que quelque chose de grave, et dont nous ignorons tout, s’est produit pèse sur ce silence.
Voilà que la voiture s’arrête. Elle nous dépose à l’embranchement de deux voies d’autoroute. Nous n’en s’aurons jamais rien.
Nous revoici à “faire du pouce”.
Il ne tarda pas à ce que nous soyons de nouveau en transit. Nous sommes cinq dans cette deuxième voiture : un homme accompagné de son neveu, à l’avant, une dame et nous deux à l’arrière.
Sur la route, les véhicules se suivent mais ne se ressemblent pas ; celui-ci devint le théâtre d’une séance de magnétisme ! C’est ainsi que, à l’arrière, la dame exerça ses dons sur Louis-Philippe. Tout en lui posant des questions elle adoptait une curieuse gestuelle, qui je suppose était destinée à lui donner de la substance alors que, par l’esprit, elle combinait ses prédictions. Puis elle désignait soudainement une partie du corps de son cobaye, mettant en évidence une douleur ou avançant des faits qui finalement s’avérèrent être assez vrais. Même réussit-elle à trouver où était le téléphone portable de l’analysé ! Le scepticisme de Louis-Philippe contrastait avec la curiosité qu’attisait chez moi cette démonstration d’irrationnel. Le temps passait sans que je ne puisse à mon tour me livrer à l’expérience, et ainsi s’acheva notre second petit voyage.
Le troisième trajet fut celui dont l’attente se montra la plus longue. Nous avions multiplié les stratégies dans l’espoir de faire stopper un automobiliste, allant jusqu’à tenter notre chance séparément sur deux tronçons de route différents. Mais aucun résultat. Rien ! Heureusement le soleil brillait de nouveau et ses radiations nous rendait d’humeur lumineuse. Enfin un jeune s’arrête et nous embarquons avec lui.
Il nous explique qu’il rentre d’un concert qui avait lieu la veille. Avicii ! L’expérience musicale se prolonge dans son auto, sur le chemin du retour… Fort heureusement les paysages qui défilent m’apportent par leur beauté une distraction suffisante à me détourner de mon ouïe. Ils deviennent d’ailleurs de plus en plus verts, les paysages. À mesure que nous avalons les miles, la route se mue et prend une toute autre allure.
Ce gars là se montre bien chouette puisqu’il nous dépose pile poil devant un restaurant à Sudbury, ville du Nord de l’Ontario, à quatre heures de route de Toronto, à l’endroit précis où notre couchsurfeuse du jour nous avait donné rendez-vous.
Il était 19h30 et le dîner sonnait comme une belle récompense.